témoignages

Témoignage de Patrice Perreault

Il est toujours difficile de partager un témoignage. Que témoigner d’une vie dans la moyenne, d’une vie ordinaire avec son lot d’enjeux du quotidien dans sa plus banale expression? Certes, les débuts se sont révélés plus difficiles. En effet, je suis né il y a un peu plus d’un demi-siècle (le temps passe si vite). Né comme grand prématuré, j’ai eu beaucoup de chance d’être né d’une part et de demeurer vivant d’autre part. Après quelques mois en incubateur, j’avais les capacités suffisantes garantissant l’autonomie de mes fonctions physiologiques. Ayant traversé un épisode d’anoxie cérébrale à la naissance, quelques années plus tard, on a identifié une condition particulière : celle de l’hémiplégie spasmodique droite; une forme de paralysie cérébrale.

Dans ce bref texte, je n’exposerai pas les défis et/ou les obstacles rencontrés par une personne en situation de handicap. Ces thématiques sont traitées abondamment dans divers médias: écrits, télévisuels, cinématographiques ou numériques. Je me bornerai à aborder un phénomène social et personnel fort bien examiné par ce que la langue de Shakespeare désigne sous le vocable : « disabilities studies» qui peut se traduire par « études sur les incapacités ».

Il s’agit d’un champ de recherche universitaire qui vise à mettre à mieux comprendre la vie et les défis sociaux des personnes en situation de handicap. Ce champ de recherche, au cours des décennies, a établi, par exemple, la distinction entre handicap et limitation physique ou cognitive. Il s’agit de la perception socioculturelle de la limitation et non celle-ci en elle-même. Cela est

désigné par le terme « capacitisme». Ce construit social oriente consciemment ou non une préconception de la condition des personnes en situation d’handicap.

Habituellement, elle prend la forme d’une dyade colorant la perception du handicap : ou bien les personnes en situation d’handicap sont des êtres exceptionnels.le.s parvenant à des accomplissements de haut niveau (songeons aux athlètes paralympiques) ou bien les personnes en situation d’handicap sont les infortunés.e.s du destin et ne peuvent aspirer à une véritable vie, victimes du hasard. Certes, il s’agit d’une réalité, mais elle ne constitue pas la situation de la vaste majorité des personnes en situation de handicap. Par contre, il importe d’insister que ce biais cognitif touche l’ensemble du corps social qui l’intègre comme une « évidence ». Cela inclut, souvent à leur insu, les personnes en situation de handicap. Nous intériorisons cet a priori sans s’en rendre compte et nous nous percevons en fonction de ce dernier. Pour nous, il s’agit d’un modèle inconscient et spontané auquel il importe consciemment ou non, de nous conformer afin d’être reconnus socialement.

Je peux en témoigner personnellement car un de mes plus grands défis consistait à prendre conscience de cette dynamique et d’entrer dans le lent processus de déconstruction/reconstruction, jamais achevé pour ma part, qui affranchit et ouvre à de multiples possibilités. Paradoxalement, cela permet de nous resituer, de manière plus judicieuse dans la moyenne des gens. Je me situe dans cette pure moyenne avec une vie quotidienne certes avec quelques défis différents, mais tout aussi ordinaire que celle de n’importe qui.

D’ailleurs, je tiens à souligner le soutien de l’Association de paralysie cérébrale qui nous appuie dans ce travail de déconstruction/reconstruction de l’identité personnelle et sociale comportant bien d’autres dimensions que le strict handicap. L’Association m’a permis d’approfondir que le véritable bonheur, même pour les personnes en situation de handicap, se trouve dans le décentrement de soi comme l’affirmait le psychiatre Viktor Frankl :

 Pour surmonter ces obstacles, la logothérapie propose un décentrement du soi, une quête de sens dirigée vers l’extérieur par trois voies principales : l’action, « à travers une œuvre ou une bonne action » ; la contemplation, ou l’expérience de la spiritualité, de la vérité et de la bonté par le contact avec la nature, la culture ou l’amour d’un être ; et la souffrance, non pas recherchée, mais vécue avec sens et dignité.[…] « L’acte d’exister, continue-t-il, n’est rien de plus que de répondre à la vie et d’assumer sa responsabilité à son égard. » .

Je n’ai qu’un mot à dire à l’Association : un grand merci.

Patrice Perreault

Viktor Frankl cité par Louis Cornellier, « Une raison de vivre », Le Devoir, (10 avril 2021), tiré du site https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/598441/essai-une-raison-de-vivre, (consulté le 18 avril 2021).

Par exemple, ce champ d’études existe à l’université Concordia : https://disstudies.org/index.php/about-sds/what-is-disability-studies/. Voir aussi : https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/gscw031?owa_no_site=5739 et bien entendu :  https://www.ulaval.ca/la-recherche/unites-de-recherche/chaires-de-recherche-en-partenariat/chaire-de-recherche-en-paralysie-cerebrale (consultés le 18 avril 2021).